LE CLOWN de Gée
SEQ 1 INT- PIÈCE - NUIT
Il fait sombre. On se trouve à l’intérieur d’une pièce style grenier. La lumière est tamisée et quelques bougies sont allumées, une ampoule se balance du plafond. Il y a, accrochées aux murs, des affiches de cirque, des photos. C’est le clown qui est mis en avant. On s’arrête
sur certaines affiches avant de passer aux suivantes. Quelques malles, des vielles palettes de bois. Sur les étagères des poupées à l’image de clowns. Certaines de ces poupées clown sont des boites à musique et on entend en fond sonore une douce mélodie. Une ou plusieurs poupées sont en mouvement.
Dans un autre coin de la pièce, on aperçoit alors un grand miroir dans lequel se reflète un homme assis, la tête baissée, une main sur son crâne. Sa tête est penchée. On ne la voit pas. On remarque juste son costume de clown et ses grosses chaussures rouges et jaunes.
On s’approche doucement et le reflet de l’homme s’anime. Il lève la tête. Il a le visage maquillé en clown. Il a les traits défaits de la tristesse. Son maquillage est un peu passé. Il se regarde.
On voit ses yeux maquillés qui s’observent avec intensité. On entend une voix.
LA MARIONNETTE
(off)
Tu n’es pas beau à voir.
Le clown tourne la tête doucement. Il observe une marionnette. Le clown secoue la tête tristement et se regarde de nouveau dans le miroir.
LE CLOWN
Je ne suis plus rien. (un temps)... J’ai perdu mon public.
Le clown secoue la tête en silence. Il se regarde dans la glace. On entend la marionnette.
LA MARIONNETTE
Ne sois pas triste. Le public est
volatile. Tu restes toi.
Une larme coule sur sa joue. Le maquillage laisse une trace noire sur la face blanche. Le clown regarde de nouveau le pantin. Il parle doucement.
LE CLOWN
Qui suis-je ? Un artiste sans public ne peut exister... Sous
prétexte que j’ai vieilli, il pense que je suis vieux... (tout
bas, sur un ton désespéré) La foule est un monstre sans tête
rempli d’indifférence.
LA MARIONNETTE
Tu te trompes. Le public ne fait pas le clown.
Bref silence. La marionnette se met à bouger.
LA MARIONNETTE
Le clown vient et vit en soi. Ton personnage clownesque est toi
dans toute ta sincérité, ta vulnérabilité.
Le clown secoue la tête.
LE CLOWN
(Sourire nostalgique et triste)
Qui suis-je si je ne peux regarder la salle comble,
entendre la foule rire aux larmes, sentir sa joie monter
vers moi ?
Le clown ferme les yeux tandis que le pantin l’observe. On voit les yeux fermés. La flamme d’une bougie vacille et s’éteint. C’est le noir.
SÉQ 2 INT- CIRQUE - NUIT
On entend des applaudissements, des acclamations. Il y a beaucoup de lumière. On ne voit pas l’environnement, seulement le chapiteau d’un cirque. On voit un trapéziste, un jongleur... Ensuite on voit un clown qui salut, souriant... Il y a des flashs. Peu à peu les
applaudissements s’amenuisent jusqu’à disparaître. On voit le clown qui fait un geste d’adieu et l’image se fige.
SEQ 3 DÉFILÉ D’IMAGES
La photo figée du clown de la précédente séquence est incorporée dans un article de journal. Puis c’est un défilé d’articles de journaux. Des photos en noir et blanc et couleurs et des articles de journaux défilent comme un feu d’artifice d’images qui se superposent.
SEQ 4 INT- PIÈCE - NUIT
Fondu au noir sur le clown dans le grenier. Le clown ouvre les yeux. Son maquillage a coulé. Il se regarde dans le miroir. Il se retourne alors vers la marionnette. Celle-ci tend une serviette et du lait démaquillant au clown.
LA MARIONNETTE
Essuies-toi. Si le clown n’est plus... Montre ton vrai visage...
Et tu comprendras.
Le clown tend la main avec hésitation et prend la serviette et le lait démaquillant. Les mains des 2 protagonistes se touchent. Le clown verse du lait sur la serviette et la porte à son visage. Il commence doucement à se démaquiller. On voit peu à peu le visage du clown perdre ses couleurs au fur et à mesure que le clown se démaquille. Le clown devient humain. Quand une partie du visage reprend le visage de l’homme, on voit la face du pantin se transformer. Les couleurs du clown apparaissent sur sa face. C’est maintenant la marionnette qui est le clown.
Peu à peu l’homme est homme et montre son vrai visage. La marionnette est maintenant un clown. L’homme se regarde dans la glace. Une larme noire coule sur sa joue.
Une brume (fumée) épaisse envahit la pièce. Le miroir se couvre de brume. On ne voit plus aucun reflet.
SEQ 5 INT- PIÈCE - NUIT
L’homme prend sa serviette et frotte le miroir embué. On voit d’abord les yeux de la marionnette se refléter à la place de ceux de l’homme. L’homme continue de débarrasser le miroir de son écran de fumée. La marionnette clown apparaît en reflet. On entend des applaudissements. On voit des flashs. L’homme se lève et fait un mouvement brusque qui fait
tomber sa chaise (ou une table...). Il jette sa serviette sur le miroir et se retourne vers le pantin. La marionnette-clown le fixe.
LA MARIONNETTE
Tu vois c’est moi qu’on applaudit maintenant. Ce n’est pas le clown
que le public ne voulait plus. Ils ont encore besoin de rêver et
de rire. L’homme regarde la marionnette, désespéré.
LE CLOWN
(en colère retenue)
Alors pourquoi ?
LA MARIONNETTE
Regarde-toi. Tu as perdu l’étincelle. Le masque ne
dissimulait que tes traits, pas celui que tu es devenu.
LE CLOWN
Mais je suis le clown. Tu n’es qu’un imposteur.
LA MARIONNETTE
Non, non, non. Tu peux farder tes yeux, ta bouche, mettre ton beau
costume, tu ne mets plus de sourire de lune dans le coin de
la bouche des enfants. Tu ne fais plus battre les cœurs et les
mains. C’est toi qui joue un personnage.
LE CLOWN
C’est le public qui est parti.
L’homme se penche à terre et ramasse une bouteille
d’alcool. Sur le sol, il y a une multitude de cadavres de bouteilles. L’homme dévisse le bouchon et boit une grande gorgée.
LA MARIONNETTE
Et bien, je prends ta place. La magie continuera à travers moi.
LE CLOWN
Tu n’es qu’un pantin. Tu ne vas offrir au public que des étoiles
d’illusion. Il a besoin d’amour.
LA MARIONNETTE
Il a besoin de croire.
Le pantin lève la tête et se met à danser... Tout se met à tourner, tournoyer.
L’homme se prend la tête dans les mains en levant les yeux au ciel, tandis que le pantin s’arrête et l’observe. L’homme regarde un instant le pantin avec intensité.
L’homme s’assoit, baisse la tête et reprend sa position de départ : assis, la tête penchée, la main sur son crâne. et délicate.